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Pornographie : « Quand on rentre dans l’engrenage avec les pubs, c’est difficile d’en sortir »

Depuis son poste, Thomas* peut cibler les utilisateurs des sites pour adultes afin de les inciter à retourner dessus. Photo Mattéo Lourenço

Pornographie : « Quand on rentre dans l’engrenage avec les pubs, c’est difficile d’en sortir »

ENTRETIEN-Thomas* a 23 ans. Actuellement en master de commerce, il est alternant depuis deux ans dans une entreprise de publicité. Lorsqu’il a appris qu’il travaillerait dans le domaine du porno, il s’est interrogé. Mais étant ouvert d’esprit, il a finalement réussi à s’épanouir dans un travail qui mêle gestion des données des utilisateurs et publicités ciblées pour attirer de nouveaux visiteurs. Un métier atypique qui permet à Thomas de constater la tendance à l’addiction très présente chez les utilisateurs.

Un quart des 18-25 ans qui consomment du contenu pornographique en sont dépendants. C’est en tout cas ce qu’affirme la BBC dans son documentaire  « Porn Laid Bare » en 2019. Plus récemment, c’est France Télévisions qui s’est attaqué aux coulisses de l’industrie dans un numéro de « Cash investigation », l’émission présentée par Elise Lucet. Les sites pour adultes sont d’ailleurs les plus fréquentés sur la toile. Selon Statista, en 2023, 17 millions de Français majeurs sont allés au moins une fois sur l’un de ces sites pour adultes, et 3,8 millions s’y rendent même tous les jours.

Comment as-tu appréhendé ce travail ?

Thomas : “Je me suis questionné, même si l’avis des autres ne m’intéresse pas trop, mais c’était plus par rapport à mes parents. Ils ont compris assez rapidement que j’étais ni acteur, ni producteur, ni quoi que ce soit et que nous gérions surtout l’industrie et que c’est un job qui me plaisait de fou.”

En quoi consiste-t-il et quelles sont tes missions ? 

“Je suis responsable stratégique donc ma première grosse mission va être de gérer tous partenaires. Je m’assure avec eux tout au long de l’année que tout se passe bien. Je leur fais des suivis de data, c’est-à-dire que je récupère toutes les données du marché et une fois que je les aies, je les analyse et je leur en fais un topo pour les aiguiller sur leur communication et sur la publicité. Ma deuxième casquette c’est vraiment de la négociation sur la période de septembre à décembre.” 

Existe-t-il une addiction au porno selon toi ? 

“Oui, ça c’est clair. Aujourd’hui l’addiction pornographique et le porno en général sont reliés à quelque chose qui est assez instinctif, qui est naturellement ancré en tous. Donc forcément il peut y avoir une addiction comme toute chose et spécifiquement chez les jeunes, car on sait que l’industrie porno les attire. Cela peut entraîner plus facilement des formes d’addiction.”

Que penses-tu du porno ?

“Je pars du principe que ça reste une activité de divertissement entre guillemets au même titre que YouTube, Netflix peuvent l’être. C’est  simplement un ciblage qui est différent parce qu’on est sur de l’adulte. La chose que je m’efforce à répéter à chaque fois et dont on m’a déjà essayé de me faire dire le contraire, c’est que l’industrie pour adulte est faite par des adultes pour des adultes. Partant de là, je considère que toute personne qui consomme consent aussi. Donc c’est une industrie qui est bonne, qui est saine.” 

Toi qui traites tout un tas de datas, as-tu un aperçu de l’addiction au porno ? 

“On a une visibilité qui est assez claire sur nos utilisateurs. On sait exactement qui consomme, pourquoi et comment. Et par rapport à ça forcément quand on veut faire rentrer de nouveaux utilisateurs chez nous, on va cibler des gens qui commencent à consommer et qui ne sont pas habitués. Malheureusement, pour la plupart ça se fait au niveau de la pub, parce qu’elle est ouverte à tous. On peut « puber » sur qui on veut, sauf en France.”

Concrètement, comment ça se passe ?

“Typiquement, si demain un jeune, même mineur de 15 ans, commence à rentrer dans l’engrenage par curiosité, si un soir il va avec ses copains sur un site pornographique, les cookies vont le suivre. Donc nous pouvons déjà le cibler car nous savons quand une personne commence à consommer. Par rapport à ça, on pourra mettre de la publicité en place pour qu’il soit incité à retourner sur des sites. Donc oui il y a tout cet engrenage-là. Plus la personne va consommer, plus il sera ‘’pubé’’ (touché par la pub, NDLR) et plus il sera ‘’pubé’’ plus il pourra rentrer dans le cercle addictif.  Après, il faut partir du principe qu’il ne doit y avoir que des adultes. La personne est censée être assez clairvoyante sur la chose.”

*:  le prénom de l’intervenant a été modifié pour préserver son anonymat

Mattéo Lourenço

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